Été 99, 2024
Vidéo, 21’18’’
Musique Julien Perez
Courtesy de l’artiste et de la galerie Jousse Entreprise, Paris
Né en 1952 à Minerviu (Corse), Ange Leccia est diplômé de l’université de
Paris, Panthéon-Sorbonne où il suit notamment les cours de cinéma de
Dominique Noguez. Présent dans les collections de nombreux musées
internationaux — notamment au Guggenheim à New York, au musée
national d’Art moderne à Paris et au musée d’Art contemporain d’Hiroshima
—, il a également travaillé en tant que vidéaste-scénographe dans les
spectacles du chanteur Christophe (avec Dominique Gonzalez-Foerster),
du chorégraphe Merce Cunningham et il a réalisé des décors pour l’opéra de
Metz ou les Ballets de Monte-Carlo.
Ange Leccia aime les ressacs, ceux de la mer, ceux des souvenirs. Des
ressacs sans violence, comme au ralenti, qui vont et viennent, de la
surexposition à la pénombre, avec lenteur, rêveusement. Ses images ont ce
charme hypnotique et suspendu, comme la persistance d’émois lointains,
étendus dans un été sans fin, que l’oubli menace, tel un courant mauvais,
mais ne parvient jamais à emporter au large. Ses images attirent le bruit, le
son, le pouvoir suggestif d’une chanson, elles l’appellent, comme on invite
un partenaire à danser. Ses images, même muettes, sont musicales. Elles se
balancent. Elles bruissent. Elles ondoient.
Slow. Le temps s’étire pour que le souvenir puisse faire son nid. Souvenir de
parfum, de lumière déclinante, d’un sol qui glisse sous les pas, du frôlement
d’une joue, d’un bras recourbé comme une anse autour du cou. Puis, l’instant
d’après, le lendemain, le siècle suivant, la solitude, la solitude fondamentale
de tout un chacun face aux images. Un plan serré sur un visage adolescent,
un regard caméra aux clignements traîneurs. Motif récurrent de ses films.
Moment de tension silencieuse, d’incommunicable intériorité où toutes les
chansons d’amour scintillent, où toutes les chansons d’amour s’éteignent.
J’ai filmé ces images l’été 1999, me dit-il, quand finalement il me les montre.
Slow. Comme leur remontée depuis les profondeurs d’un transistor
abandonné nonchalamment sur une serviette de plage. Images au pouvoir
étrange, qui nous scrutent, nous enlacent, nous accueillent dans la langueur
d’une mémoire rêvée. Et alors, brusquement, nous nous souvenons : ce soirlà,
aucun d’entre nous n’était parvenu à dire je t’aime, et le dernier été du
vingtième siècle touchait bientôt à sa fin. Julien Perez, 2024