Biographie :
Vanessa Winship étudie la photographie, le cinéma et la vidéo avant d’enseigner la photographie à Londres et de poursuivre son propre travail en Grande-Bretagne et à l’étranger. Elle rejoint l’Agence VU’ en 2005.
Travaillant sur des projets à long terme dans les Balkans et les pays de la mer Noire, elle se fait connaître par sa série sur les écolières anatoliennes, publiée dans le livre Sweet Nothings.
En 2011, elle est lauréate du prix Henri Cartier-Bresson pour « Là-bas, une odyssée américaine », un travail sur les États-Unis et les notions de frontières, de territoires, d’histoire et de mémoire. Ce prix lui permet de compléter sa série qui sera exposée en 2013 à la Fondation Henri Cartier-Bresson et fera l’objet de la publication de l’ouvrage She dances on Jackson.
La Fundación MAPFRE à Madrid lui consacre une première rétrospective en 2014 puis ce sera la Barbican Art Gallery à Londres en 2018.
Elle est l’auteure de six monographies dont la dernière Snow vient d’être publiée en mars 2022 chez Deadbeat Club.
Plus récemment, elle est invitée comme artiste résidente, à Sète, en France, et à Coimbra en Espagne, puis au Royaume-Uni, respectivement en 2018 et 2020.
Avec son mari, le photographe George Georgiou, elle dirige des ateliers, et oeuvre séparément en tant que conférencière, critique, éditrice et plus récemment commissaire d’exposition.
Présentation de la série :
SHE DANCES ON JACKSON, 2013
Je rentre chez moi à la fin d’une journée passée à arpenter les rues. Quand j’arrive sur le quai à Jackson, une foule fait cercle autour d’un orchestre. La musique est bonne et personne ne semble se soucier que les trains soient si peu fréquents.
Non loin, j’aperçois un petit groupe, deux femmes et deux jeunes filles, debout.
Les femmes, d’âge mûr, portent des manteaux d’hiver en tissu uni, les filles des bonnets de laine imprimés panthère et des polaires colorées. Je crois qu’elles attirent mon regard parce qu’aucune ne ressemble à l’autre.
J’essaie de deviner si elles ont un lien de parenté. J’en ai la preuve quand la plus grande des deux filles pose la main dans le cou de l’une des femmes, cherchant son approbation, par ce geste silencieux et intime de fille à mère. Celle-ci donne son accord avec une tranquillité qui laisse entendre qu’elle a l’habitude de permettre ce genre de chose.
La fille ôte sa polaire et se dirige vers la musique. Elle marche avec aisance jusqu’au centre du cercle qui s’ouvre comme si la foule attendait sa venue. Son corps bouge librement, sans effets de pose ni parodie d’adulte. C’est une danse de son invention, entièrement spontanée. Elle ne semble pas avoir conscience des adultes qui l’encouragent ou des musiciens que sa présence fait sourire.
Bientôt, pensant qu’elle a besoin de compagnie, une femme la rejoint. La fille n’ignore pas sa présence, et parfois même bouge en harmonie avec l’autre mais elle est parfaitement heureuse de danser seule.
Le moment se prolonge plusieurs minutes encore, sans que la fille ne perde ni son souffle ni son rythme, et la foule marque son affection en entourant la scène d’un cercle protecteur.
À l’arrivée du train, la mère de la fille fourre une liasse de billets froissés dans la main de l’un des musiciens et elles sautent dans le wagon.
C’est aussi mon train ; je m’installe face au groupe, fascinée par la façon dont leur relation s’exprime, toute en retenue. Mon désir, c’est d’en faire partie, de leur demander qui elles sont, où elles vont, mais mon instinct m’en dissuade.
Le hasard veut que nous descendions ensemble à Cumberland, et elles me précèdent vers le même parking en sous-sol. À aucun moment je ne suis assez près pour entendre ce qu’elles disent et je ne veux pas entrer par effraction dans ce monde parfait.
Nos voitures sont garées à côté. La fille finit par nous remarquer, l’appareil et moi.
Le silence se brise : « Vous avez un bel appareil », dit-elle. Et sur ces mots nous montons dans nos voitures, pour ne plus nous revoir.
Vanessa Winship – Chicago, Novembre 2012.
Pendant plus d’un an, Vanessa Winship a parcouru les États-Unis, de la Californie à la Virginie, du Nouveau-Mexique au Montana, à la recherche du rêve américain. « She dances on Jackson » se lit comme une conversation, une interaction poétique et rythmée entre des paysages et des portraits qui explorent l’immensité des États-Unis, en essayant de comprendre le lien qui se crée entre un territoire et ses habitants.